Le musée Layton était tout ce qu’il restait du jeu qui avait autrefois fait la joie des petits et grands dans la salle d’arcade et la seule chose qui s’apparentait encore, pour le professeur, à un chez-soi, ce qui, pour un lieu public, pouvait sembler assez paradoxal. Les souvenirs étaient là, partout, semés à la vue de tous. Là où certains ne voyaient qu’un vieux gramophone, Hershel revoyait son chaleureux bureau mal rangé où lui et Luke partageaient souvent une tasse de thé en écoutant vibrer la divine voix de Janice Quatlane. Ce que certains ne percevaient que comme de vieilles reliques étaient pour lui les vestiges perdus d’une aventure qu’il ne s’était jamais lassé de revivre aux côtés de ses deux assistants. Le musée avait plutôt fière allure : peut-être pas très organisé, à l’instar de son principal propriétaire, ni très moderne, mais il était accueillant et reposant, proposait mille et une énigmes, dont certaines, bien cachées, ne se révélait qu’aux yeux attentifs, et les plus touches à tout pouvaient même encore trouver ici et là quelques picarats oubliés. Les anciens personnages du jeu, tous plus hauts en couleur les uns que les autres et tous amateurs d’énigmes, aimaient bien souvent s’y retrouver et consistait en vérité la large majorité des visiteurs du musée qui avait du mal à se trouver un public plus large. Ce n’était pas vraiment une surprise ; la plupart des jeux actuels étaient plus tournés vers l’action que la réflexion et leurs personnages préféraient ainsi passer leur temps libre dans la salle de gymnastique que dans ce vieux musée poussiéreux. Il y avait bien le Docteur Kawashima qui venait parfois s’y promener, mais son domaine d’expertise restait assez différent de celui de Layton, et le docteur n’avait jamais vraiment cessé de jalouser le professeur qui n’avait, selon lui, fait que reprendre la recette de son jeu malgré les nettes différences entre les deux titres. Bien sûr, le fait que la saga des Professeur Layton rencontre un succès plus franc que le sien n’avait pas arrangé les choses et même s’il s’en cachait bien, il était difficile de ne pas noter combien il se pavanait depuis que les joueurs en mal de réflexion venaient trouver leur bonheur auprès de sa borne de jeu à présent que celle qui affichait un haut de forme pour logo avait été retirée de la salle.

Et ainsi c’était tout naturellement dans ce musée qu’il passait le plus clair de ses journées lorsqu’il n’enquêtait pas sur Caligare – un objectif qu’il avait quelque peu mis entre parenthèses depuis les récents évènements. Non pas qu’il eut fait beaucoup de progrès depuis le début de toute façon ; le virus restait un mystère dont l’existence était largement controversée au sein de la gare. Difficile réellement d’en savoir plus lorsque la majorité des gens vous prenaient pour un illuminé. Et puis, il fallait se faire une raison. Et si Layton n’avait jamais été pessimiste ni défaitiste, il devait avouer que le sort s’acharnait quelque peu sur lui dernièrement ; entre le débranchement de son jeu et le mauvais tour d’Allen – les mauvais tours d’Allen, en vérité – il sentait sa bonne humeur s’effriter un peu plus chaque jour indépendamment de sa volonté et tentait tant bien que mal de conserver les apparences. Sa présence dans ce musée en ce jour n’était pas tant une façon de retrouver l’atmosphère de son jeu que de maintenir les dites apparences. Il avait assez manqué à ses devoirs ces derniers jours (bien qu’involontairement) et ne souhaitait pas qu’Emmy ou Luke puissent penser qu’il les abandonnait ou que leur présence leur importunait, ce qui était tout le contraire. Mais s’il veillait à être là pour eux il en oubliait que lui aussi avait parfois besoin de s’appuyer sur ses amis ; personne n’était au-dessus de ce genre de choses, pas même lui : Hershel appréciait autant la compagnie que n’importe qui d’autre et une importante partie de son travail en tant que professeur aussi bien que « détective » s’appuyait sur sa relation avec les autres, ce que son côté sociable avait toujours su parfaitement mettre en avant. S’isoler ne lui ressemblait pas, mais il l’avait fait pour préserver ses amis. Nul doute qu’ils auraient compris qu’il n’était pas dans son état normal et que ses agissements n’étaient que le fait d’un mauvais sort, mais il n’avait pas souhaité les exposer pour autant. Ils avaient leur part de problèmes, eux aussi.

Tandis qu’il jouait distraitement avec un casse-tête dans le musée silencieux – la salle d’arcade était encore ouverte, les personnages étaient tous à leur poste et la gare déserte, il entendit des bruits de pas s’approcher d’une démarche souple qu’il ne reconnaissait que trop bien.

« Bonjour, Emmy », lança-t-il avant même de lever la tête vers la demoiselle qui bien évidemment se tenait face à lui, lui faisant prendre soudainement conscience qu’il ne l’avait pas vue depuis un long moment – trop longtemps – et combien son sens de la répartie et son enthousiasme lui manquaient.

Il esquissa un sourire plus doux-amer qu’il ne l’avait souhaité avant de se redresser, s’avançant vers la théière, faisant de son mieux pour paraître comme à l’accoutumée.

« Je te sers une tasse ? »